CLIMAT et INEGALITES.
Pour comprendre cette affirmation, il faut revenir sur trois sujets liés : la formation/qualification des femmes, leur mobilité et leur précarité. Explications par Philippe Nikonoff auteur de «Climat, mégafeux, inégalités. Pourquoi nous n’anticipons plus » aux éditions de L’harmattan novembre 2022 qui nous invite, par son analyse, à porter un regard différent sur les perturbations sociales et économiques locales renforcées par les modifications climatiques.
Des femmes davantage formées que les hommes…
Partout en France (sauf au niveau certificat d’études), les femmes sont toujours plus diplômées que les hommes. Autrement dit, dès que les filles ont la possibilité d’étudier, elles vont plus loin que les garçons comme le montre ce premier graphique qui concerne les quatre communautés de communes du Médoc. Sur Médoc Atlantique par exemple, 17,7% des hommes possèdent le bac contre 19,3% des femmes. Sur la Médulienne, 12,1% des hommes possèdent un diplôme de niveau minimum bac + 3 contre 15,4% des femmes, etc.
… et pourtant, plus précaires.
Sur le Cœur de presqu’île, un tiers (36,8%) des hommes est ou au chômage ou à temps partiel ou en emploi précaire là où plus de la moitié des femmes (55,4%) est dans cette situation. Sur Médoc Estuaire, les chiffres sont de 21,6% pour les hommes et de 40,5 % pour les femmes. L’écart est considérable : plus diplômées en moyenne, les femmes du Médoc sont presque deux fois plus souvent au chômage, en emploi précaire ou à temps partiel.
Le salaire horaire est aussi nettement plus faible dans toutes les tranches d’âge.
Pour simplifier la lecture, nous ne présentons les données que pour les tranches au-delà de 25 ans. Sur Médoc Estuaire, le salaire horaire moyen d’une femme de 26 à 50 ans est de 14,3 € mais celui d’un homme est de 16,8 €. L’écart se creuse encore plus ensuite puisque le salaire horaire moyen d’une femme de plus de 50 ans du Cœur Médoc est de 14,5 € contre 19,5 € pour un homme.
Plus diplômées, davantage au chômage, à temps partiel et en emplois précaires, les femmes pourront-elles faire face ?
Projetons-nous sur deux sujets, le logement et à la mobilité : Il faut des moyens importants pour isoler l’habitation de la chaleur, du froid, des inondations. On sait que le revenu moyen est faible dans le Médoc et qu’une part importante des ménages ne pourra réaliser ces travaux qui permettent pourtant d’importantes économies d’énergie. Les inégalités hommes-femmes dans les revenus et dans l’accès à l’emploi impactent les ménages et pas seulement les femmes.
Mais pour les femmes seules et les mères seules avec enfants qui représentent entre 7 et 11% des ménages du Médoc, prendre en charge ces travaux sera mission impossible. Une double peine que l’on retrouve sur le sujet de la mobilité pour le travail. Entre 1 et 3% des déplacements pour le travail se font en transport en commun dans le Médoc et plus de 93 % des ménages dispose d’au moins une voiture, près d’un ménage sur deux en ayant deux. Or, la voiture coûte cher et coûtera de plus en plus cher. Les différentes études sur ce sujet sont claires : avec une seule voiture dans des territoires enclavés comme le Médoc, ce sont les femmes qui renoncent à leur emploi parce qu’elles renoncent à la deuxième voiture et ne peuvent s’appuyer sur des transports en commun suffisants.
Les changements climatiques aggravent les inégalités entre les hommes et les femmes
Moins payées, plus précaires, davantage à temps partiel, que se passera-t-il si les coûts de l’automobile deviennent ingérables (racheter un véhicule, financer une grosse réparation, etc.) et qu’ils se cumulent avec la hausse du coût de l’énergie dans un habitat mal isolé, occupé souvent par des ménages modestes ? Cela, nous le savons depuis longtemps et le changement climatique aggrave ce phénomène de hausse inévitable du coût de l’énergie, du transport, de l’habitat. Anticiper ce risque suppose des actions volontaires et adaptées à la réalité de ce territoire étendu, peu dense et sans métropole : développer une offre de transports en commun combinée qui permette de remplacer la voiture, élaborer un puissant programme de rénovation / isolation de l’habitat ou de construction à partir de nouvelles techniques, chercher comment limiter les « trous » dans les journées de travail très féminisé du « care » (soins, aide à domicile, AESH…) pour réduire la précarisation, etc. Il suppose aussi peut-être d’inventer des réponses locales à des besoins locaux, des réponses peut-être plus solidaires pour empêcher que le changement climatique n’assigne les femmes à résidence.
Cet article a été rédigé par Philippe Nikonoff, économiste, auteur de "Climat, mégafeux, inégalités" édité à L'Harmattan dans le cadre d’une démarche partagée avec le Journal du Médoc pour faire de l’information locale autrement.